En un bond, elle plaqua son corps contre le mien, lovant sa tête au creux de ma poitrine et me serrant très fort contre elle.
Une année et demie s’était écoulée depuis notre dernière rencontre, et, très curieusement, elle me semblait plus petite que l’année précédente.
Je la serrai aussi très fort contre moi et je ne sais plus si j’ai balbutié Ma Chérie ou My Darling, en tout cas, je l’ai au moins pensé très fort.
Je sentais la douce chaleur réconfortante de son corps, mes mains caressaient ses longs cheveux encore mouillés et je frottais affectueusement mon visage contre sa tête, la couvrant ainsi de baisers. Ce contraste entre la chaleur ambiante et la fraîcheur de sa chevelure me donnait une curieuse impression d’un chaud et froid dépourvu d’homogénéité.
Les premières émotions passées, je la fis entrer dans la chambre et nous nous asseyîmes sur le lit. Le dialogue s’installa naturellement, doublé du doux plaisir d’être seules, ensemble, pour la première fois, et laissant place à une complicité naissante.
J’avais attendu ce moment depuis tant de temps. Jusqu’à une époque encore assez proche, je me sentais maladroite envers les adolescents. Et je me posais quelques questions quant à notre propre relation, en réalisant que de son côté, Yangdon était très réservée. Je savais aussi la nature de sa timidité, étant moi aussi passée par là, lors de ma propre adolescence.
Je pensais que cette réserve entre nous s’effondrerait naturellement un jour ou l’autre, je n’étais pas vraiment inquiète. J’espérais seulement ne pas me tromper, car j’aurais été malheureuse de passer à côté d’un partage affectif et d’être privée d’une relation sincère et ouverte.
Nous avons beaucoup parlé, ce soir-là. On lui avait donné l’autorisation de passer deux petites heures avec moi. C’était tout simplement magnifique.
Tenzin Yangdon est une jeune fille intelligente, sincère, spontanée, heureuse, souriante, prévenante, affectueuse. Nous avons échangé sur de nombreux sujets tels que sa famille, ses études, le dernier prix Nobel de la Paix, fraîchement attribué au dissident chinois Liu Xiaobo, le problème des droits de l’Homme en Chine, et le Tibet, bien sûr. J’avais apporté quelques films sur son pays, et je lui ai proposé de regarder ensemble un reportage sur Gyalyum Chenmo, la maman de Sa Sainteté. Nous avons partagé les écouteurs branchés sur mon petit ordinateur, attentives l’une autant que l’autre à un sujet qui nous tenait à coeur.
Je lui dis que j’étais heureuse du changement qui s’était opéré en elle. Elle avait perdu toute sa timidité. Elle me répondit que l’année précédente, elle se sentait très gênée de parler anglais devant ses parents et qu’elle s’était donc murée dans un silence quasi-total. Je fus très amusée par cette révélation, car j’avais moi-même vécu la même chose avec mes parents lorsque j’étais adolescente : je refusais de parler italien en leur présence.
Chaque jour et à chaque repas, elle venait me chercher. C’était un moment unique, que nous chérissions l’une et l’autre et nous partions vers la maison dans laquelle elle vivait avec quelques camarades de classe, elle, enserrant ma taille, et moi lui passant affectueusement le bras autour des épaules.
Je n’ai jamais considéré Yangdon comme ma fille. Toutefois, je sais que j’ai un sentiment maternel envers elle. C’est un paradoxe que je ne peux expliquer. Elle a ses parents, qui sont de bons amis, et je ne me permettrai en aucun cas de m’immiscer dans l’éducation de leur fille. Elle est ma filleule, j’ai une profonde affection pour elle, je suis là pour la soutenir dans ses études, être à ses côtés quoiqu’il arrive, et sa présence dans ma vie est un grand bonheur que je partage avec elle.
Une anecdote qui m’a fait beaucoup rire, avant de clore ce texte : un soir, elle me demanda ma date de naissance. Lorsque je la lui donnai, je reçus pour toute réaction de sa part, un étonnement si grand que ses yeux de Tibétaine en devinrent tout ronds. Elle m’avoua qu’elle avait affirmé la veille à ses camarades de classe que j’avais… 33 ans ! Après tout, je n’en avais que… quelque vingt de plus ! Elle a visiblement eu beaucoup de mal à me croire.
Je sais notre affection partagée, doublée d’une grande confiance et d’un respect réciproques.
Yangdon est le petit ange qui est venu illuminer ma vie. ”